dimanche 1 décembre 2013

Au royaume de l'activité manuelle


GUEDELON : un lieu extraordinaire pour comprendre comment l'homme a pu construire de grandioses bâtisses bien avant que la machine ne vienne l'aider.
Cette aventure (qui durera au minimum 25 ans, le temps de construction du château) existe depuis 1997, au départ sous forme associative, aujourd'hui gérée par une société privée, entièrement financée par les entrées payantes.
L'idée en revient à Michel Guyot, propriétaire du château de Saint-Fargeau (dans le département de l'Yonne). Le site de Guédelon a été choisi car il regorge des matières premières nécessaires à la construction : l'eau, la terre, le sable, la pierre. Le calcaire provient d'une carrière située à 30 km, le grès ferrugineux est extrait par les carriers à Guédelon même.
La pierre la plus dure est utilisée comme pierre de parement, linteaux. La plus tendre sert dans le remplissage intérieur des murs. Elle est transportée par les charretiers dans la carriole (au fond de la photo) tirée par deux chevaux de trait, qui se reposent ici après une journée de dur labeur.

Les tailleurs de pierre
 travaillent le calcaire et le grès pour des ouvrages d'arts :
les meurtrières : il s'agit de viser juste !
la margelle du puit : un seul bloc de grès de près d'1,6 tonne !
la citerne d'eau
l'évier alimenté par un caniveau extérieur qui recueille l'eau des toitures
La poterne est une sortie discrète permettant de rejoindre les fossés puis la forêt en cas d'attaque. Elle est munie d'un système de défense très efficace : une circulation étroite et sombre, une double porte à ouverture inversée.
 
La hauteur et la proportion de calcaire (pierre blanche) de la cheminée indiquent la richesse du seigneur propriétaire.
 
 
trois vues pour une même affaire !
 La forêt entourant Guédelon est une forêt de chênes,que les bûcherons abattent et équarrissent. 
 Ce bois sert à fabriquer 
les portes
les charpentes
les cintres de soutien des voûtes
Le pont dormant (pont fixe en bois).
 mais aussi les tavaillons (tuiles en bois) qui recouvrent les toits du village,
 
 
Et rien n'est perdu : le houppier (branches et ramifications de l'arbre) alimente les fours à tuile.
 Le chateau-fort construit à Guédelon est un château dit philippien, car Philippe-Auguste, roi de France de 1180 à 1223, est à l'origine d'une standardisation de l'architecture militaire des châteaux dans les territoires philippiens. 
Le site Internet nous dit qu'un chateau philippien se caractérise de la façon suivante : un plan polygonal,
des tours d'angle cylindriques, une tour d'angle, plus haute et plus grosse : la tour maîtresse, un châtelet, deux tours défensives à l'entrée.
 
 Le chateau de Blandy les Tours en Seine et Marne est construit sur ce modèle. Longtemps laissé à l'abandon,

il a été rénové à l'initiative du Conseil Général de Seine et Marne qui en est propriétaire depuis 1986. Il est ouvert au public depuis 2007, magnifique écrin pour créations artistiques.

http://www.seine-et-marne.fr/blandy-les-tours
Mais revenons à Guédelon. Les murs de jonction entre les tours et le logis seigneurial  sont appelés courtines.
Les parties basses et légèrement inclinées du château (appelées escarpes) font 2,5 mètres d'épaisseur, qui est ensuite réduite à 2 mètres.
Les trous correspondent aux emplacements des échafaudages. Une pierre est ensuite glissée dans cet espace : elle sera aisément repérable quand il faudra remonter les échafaudages pour réparer.
Cette photo montre la marque du temps sur l'ouvrage : la partie basse a déjà changé de couleur.

Environ 35 oeuvriers-salariés travaillent à la construction du château. Cette équipe de professionnels reçoit l'aide ponctuelle de "bâtisseurs temporaires" (particuliers passionnés, stagiaires en formation). Ils travaillent à la main avec les outils du XIIIème siècle. Pas de grue à cette époque, mais une cage à écureuil, qui permet à une seule personne de soulever 300 à 400 kg à plusieurs mètres de hauteurs.
 
 Afin de renforcer la sécurité, le système de freinage et les cordes, axes, poulies (à la résistance homologuée) sont contemporains.

Mais les cordes destinées à d'autres usages sont fabriquées sur place.
 Pour fabriquer une corde, des brins de chanvre ou de lin sont fixés sur les crochets de deux rouets distants de plusieurs mètres, en fonction de la longueur finale de la corde.
 Lors de cette démonstration, les rouets sont maintenus par de lourdes pierres. Pour faire des cordes très longues, la force de plusieurs hommes est nécessaires.
 Dans un premier temps, un seul rouet est actionné (espèce de manivelle qu'il faut tourner). Ce qui entortille les 4 torons (eux-même composés de plusieurs brins) maintenus écartés par la croix en bois visible en bas à droite de la photo.
 Ensuite, les deux rouets sont actionnés, mais en sens inverse, ce qui a pour effet d'entortiller les 4 brins ensemble (la croix se déplace alors).
 Il n'y aura plus qu'à terminer la corde en réalisant l'épissure, c'est-à-dire entrelacer l'extrémité des torons.
Je passe toujours beaucoup de temps dans cet atelier (et oui, quand il y a des fils, ça me parle ...).

Car l'intérêt de ce site réside dans le fait que le visiteur assiste en direct à la construction. Les oeuvriers prennent le temps d'expliquer leur action (ils y consacrent le tiers de leur temps de travail).
Au cours de la visite (comptez une demi-journée) vous croiserez sur des emplacements bien identifiés
 
les cordiers, les carriers, les charretiers, les tailleurs de pierre,  les bûcherons, les charpentiers, les menuisiers, les forgerons qui fabriquent tous les outils utilisés sur le chantier, ainsi que toutes les pièces métalliques (dont 700 clous nécessaires au pont dormant).
 Actuellement le soufflet qui alimente la forge est manuel. Lorsque le château sera terminé, un moulin devrait sortir de terre pour actionner le soufflet. Avant que les oeuvriers ne s'attaquent à une cathédrale ?

Les maçons utilisent du mortier pour coller les pierres entre elles. Le mortier est obtenu en mélangeant dans des bacs à gâcher de la chaux aérienne, du sable et de l'eau. 
Pour des raisons de sécurité, la chaux n'est pas fabriquée sur place mais par un chaufournier de manière artisanale. Le mortier sèche lentement et permet une certaine élasticité des maçonneries.

Voilà pourquoi il n'y avait pas besoin de fondations (il n'y en a pas à Guédelon). Sinon, comment aurait-on pu construire les châteaux de défense sur des pics rocheux ? Le temps de séchage de la chaux n'est en fait pas connu : des études faites sur des monuments de plus de 900 ans montrent qu'elle n'est pas encore sèche !

Les tuiliers fabriquent à partir de la terre glaiseuse de Guédelon (terre grasse contenant de l'argile)

les tuiles (25 000 pour couvrir le logis !) et les carreaux de pavement.
Tuiles et pavements sont moulés dans des cadres en bois :

Une fois démoulés, ils sont posés sur des clayettes. Après un temps de séchage à l'air libre, les tuiles et carreaux vont cuire pendant 4 jours et 3 nuits à une température de 1 000° environ. 

Tous les oeuvriers qui oeuvrent sur le chantier utilisent la pige comme instrument de mesure
Les encoches permettent de distinguer 5 mesures :
le pouce
la paume
la palme
l'empan
et le pied.
A chaque chantier sa pige : les mesures portées sur une pige sont celles du seigneur qui fait construire. Les oeuvriers portent leur pige à la ceinture. Ils vont de chantier en chantier. Les plus âgés ont donc plus de piges que les plus jeunes : il semblerait que ce soit à l'origine de l'expression populaire : avoir X piges.

Ce site est vraiment instructif. Comme moi, vous devez avoir à l'esprit les litres d'huile bouillante que les assiégés déversaient sur leurs assaillants. Notre guide, qui fourmillait d'anecdotes, nous a justement fait remarquer que ce mode de défense nécessite des grands marmites et du temps, pas vraiment compatible avec une défense rapide. Cela a-t-il véritablement existé, en dehors de nos livres d'histoire ? Alors que des pieux à la pointe bien aiguisée, parsemés dans les fossés jouxtant le château sont une arme redoutable, qui blessent les assaillants avant qu'ils ne puissent agir. 

Un chantier passionnant, à revoir tous les 5 ans, pour profiter pleinement des avancements des travaux.
Lors d'une première visite le 9 août 2008,
les oeuvriers s'activaient au 1er étage du logis seigneurial. 
Le 8 août 2013, celui-ci est couvert, la tour maîtresse a pris de la hauteur.

4 commentaires:

  1. PASSIONNANT!!!
    En quelques instants, je viens d'apprendre ce qu'est une pige, et que le mortier utilisé pour la construction des châteaux forts n'avait pas fini de sécher...
    Merci beaucoup. Seule la richesse de ce reportage excuse la rareté de tes parutions!!!
    Merci beaucoup et à bientôt!

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  2. PASSIONNANT !!!! Exactement ce que j'ai pensé lors de cette visite. Que je referai avec grand plaisir dans quelques années, après 15 h pour profiter de la dernière visite guidée, où le guide n'est pas pressé par la suivante. Par contre cela laisse moins de temps pour accéder aux ateliers et aux démonstrations des oeuvriers. Mais il y a moins de monde ! Et la lumière de fin de journée donne un éclat particulier au château.

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  3. Voilà un lieu dont j'avais entendu parlé à plusieurs reprise ! Contente de voir ce reportage passionnant, en attendant d'aller sur les lieux avec les enfants! Merci!!
    Bon, j'ai déjà hâte de lire le prochain reportage...A tout bientôt, alors !!

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  4. Moi, je pense qu'il manque une carte pour savoir "où que c'est en France".
    Bises.

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