dimanche 4 mai 2014

Escapade lyonnaise : la Croix Rousse


Puis nous avons grimpé à l'assaut de la Croix Rousse, haut lieu du tissage de la soie.
La soierie lyonnaise a une longue histoire derrière elle (qui sera un jour - prochain - contée sur  papillonnage de cousette). Les premiers métiers à tisser à bras sont installés en 1812 à la Croix Rousse, qui est alors une commune indépendante de Lyon, à laquelle elle ne sera rattachée qu'en 1852. Le nombre de métiers de la Croix Rousse va augmenter progressivement, jusqu'à atteindre 40 000 en 1860.
Il existe plusieurs raisons à l'expansion du tissage de la soie hors de Lyon. De nombreuses commandes affluent, en particulier sous l'impulsion de Bonaparte "imposant à la cour le port de somptueux vêtements d'apparat et exigeant une riche décoration dans tous ses palais en Europe (à son départ à Saint-Hélène, plus de 60 000 mètres de soieries sont entreposées dans les réserves du Mobilier Impérial)" (p.89). Les 10 812 métiers à bras inventoriés en 1808 dans les trois arrondissements lyonnais ne suffisent pas à y répondre. Il faut donc créer de nouveaux ateliers pour augmenter la production.
Les tisseurs lyonnais sont rejoints par "des Dombistes, des Dauphinois, des Savoyards, tous attirés par ce métier prometteur, avec, en outre et à la clé, certains avantages fiscaux comme les réductions de l'impôt foncier et la contribution mobilière consenties par la commune, et l'absence de droits d'octroi puisque l'on se trouve hors de Lyon" (p.89).
Pour Bernard Tassinari, qui retrace l'histoire de la soie à Lyon : de la Grande Fabrique aux textiles du XXIème siècle dans un livre paru en 2012 (dont les textes écrits en bleu sont extraits),
ce n'est pas la hauteur du métier Jacquard qui est la seule responsable de leur arrivée à la Croix Rousse (comme c'est souvent mis en avant). Le métier Jacquard permet la fabrication de façonnés (soieries comportant des dessins) à l'aide de cartons et d'un ingénieux mécanisme qui ont remplacés les "tireurs de lac", personnes qui actionnaient les différents fils composant le tissu afin que le tisseur réalise le passage des navettes pour reproduire les dessins.
Deux métiers Jacquard visibles à la Maison des canuts
(Vous suivez ? Pas d'inquiétude : un jour - prochain - tout cela sera expliqué plus en détail sur papillonnage de cousette)

Plusieurs corporations participent à la fabrication des soieries, mais deux professions se dégagent : 
- le fabricant-négociant qui passe la commande, fournit la soie et les cartons 
- le tisseur qui réalise les soierie
La fabrique lyonnaise est composée de petits ateliers indépendants. En fait, "il n'y a pas dissociation entre la vie familiale et la vie professionnelle  qui s'écoulent dans le même local. Les 2/3 de la surface sont réservés à l'atelier sur toute la hauteur. On y trouve deux à quatre métiers, plus le matériel de préparation. Le dernier tiers est consacré à la partie habitation. Il est coupé en deux dans sa hauteur, comportant en bas la chambre du maître et de son épouse, la cuisine, la souillarde et, en haut, sur la soupente, le lieu de couchage du compagnon ou de l'apprenti, auquel on accède par une petite échelle et un espace pour le stockage. Le sol est en carreaux de terre cuite non vernie, le plafond est à poutres apparentes. Les poutres et les solives de bois sont utilisées par le tisseur pour caler ses métiers, souvent ébranlés par les coups de battant qui les font vibrer, et pour suspendre divers accessoires utiles au cours du tissage." (p.98)
dessin de Ferat - 1831 dans "LE TISSAGE - Encyclopédie contemporaine des métiers d'art" - éd. Dessain et Tolra - p. 72 - 1977 
tableau tissé par les canuts - dans "LA SOIE A LYON" - p. 98
Les immeubles qui se construisent alors le seront de manière fonctionnelle et sans fioriture. "Chaque étage doit pouvoir héberger des métiers à bras [  ]  équipés de leur mécanique, qui nécessite au moins quatre mètres sous plafond. Il faut de grandes ouvertures pour laisser entrer la lumière. Les fenêtres sont deux fois plus hautes que larges. Leur disposition à intervalles réguliers contribue à donner aux façades un aspect particulier" (p.97)
 
On aperçoit sur cette vue une particularité architecturale lyonnaise, qui provient de l'influence italienne durant la Renaissance : les lambrequins (de bois ou de tôle ouvragé) dans le haut des fenêtres, qui cachent les stores relevés (il n'y a pas de volet). Ces lambrequins sont présents sur de nombreuses façades, quel que soit le quartier.
Mais revenons à la Croix Rousse. Les bâtiments, dotés de solides escaliers en pierre, comportent en général deux demi-volées entre chaque étage.
 
La largeur des escaliers a été calculé pour permettre le passage d'un rouleau de soie porté sur l'épaule. En effet, ces escaliers facilitaient la circulation sur la colline de la Croix Rousse. Ce sont les fameuses traboules.
Le site web qui leur est consacré nous indique " Amable Audin, historien archéologue, décompose le mot traboule en « trans-ambulare » qui signifie littéralement « passer à travers » d'où le verbe trabouler et le nom qui en découle, « traboule ». Par ailleurs, pour René Dejean, graphiste et professeur, ce nom "évoque un trajet raccourci et une idée de débrouillardise dans la connaissance des lieux. On peut donc s'entendre pour définir la traboule comme une voie réservée aux piétons, souvent étroite, débutant par un couloir d'entrée 

et traversant un ou plusieurs bâtiments (et/ou une ou plusieurs cours) pour relier une rue à une autre". 
 Elle peut également relier un niveau à l'autre, le relief lyonnais s'y prêtant. Une traboule peut être horizontale quand elle se traduit par une succession d'allées et de cours, ou verticale quand elle attaque les volées d'escaliers qui rattrapent les dénivelés."
Emprunter ces passages permettait de livrer plus rapidement les rouleaux de soie aux fabricants qui vivaient au pied de la Croix Rousse. Pour des raisons de sécurité, la plupart des traboules sont maintenant fermées. La majorité des immeubles étant privés, les portes sont munies de code d'accès. Mais notre guide avait l’œil, à l'affut des personnes qui les franchissaient, nous ouvrant ainsi un passage. Parfois nous donnant à voir une cours peu entretenue.
La cour des Voraces est quand à elle toujours accessible :
Elle est le témoin de la lutte des canuts qui se soulevèrent à plusieurs reprises.

A mon retour de cette escapade, fascinée par ce que j'ai découvert lors de ma visite à la Maison des Canuts, j'ai fouiné dans mes archives à la recherche d'informations complémentaires sur le tissage. J'ai retrouvé un livre depuis longtemps oublié (paru en 1977)
dans lequel je lis "En 1800 l'abbé H. Vassart fait un portrait très sombre des canuts lyonnais : "Le canut se reconnaît à son costume héréditaire, tricorne bas à côtes, habits de velours, mais plus encore à son teint blême, à son corps grêle et difforme, à son dos voûté, à sa voix cassée, à sa parole trainante, à son langage ou plutôt à son jargon. Il faut à l'homme de l'air, de la lumière , de la nourriture et de l'exercice et le canut se trouve presque déshérité de tout ce que réclament les besoins de l'existence." (p.72)
N'en jetez plus ! Nous pouvons tout de même penser que cette description est le lot de la totalité des ouvriers du XIXème siècle, quelle que soit la manufacture. Les ouvriers de la fabrique de chapeau de Chazelle sur Lyon  ne devaient pas être mieux lotis.

L'image renvoyée ici est fort négative. Mais il est avéré que ces personnes étaient instruites, savaient lire, écrire et compter. Il ne fallait pas être sot pour monter un métier où s'entrecroisent plus de 9 000 fils !
L’historien lyonnais Fernand Rude écrira à propos des canuts : "Une véritable élite intellectuelle s'était formée parmi eux, dont les représentants se distinguaient par leur culture, par leur vigueur, l'élévation de leurs esprits, par leur goût artistique, par leur sens des justes revendications sociales, par leur conception de l'homme ouvrier" (p.95). (Voilà un portrait qui me plaît bien et me donne envie de creuser le sujet!)
Cela explique peut-être pourquoi cette corporation a su s'organiser pour améliorer son quotidien. Si ce sont leurs révoltes (chantées par Aristide Bruant) qui les ont fait entrer dans l'histoire (pour en savoir plus, vous pouvez consulter herodote et les-canuts-ou-la-democratie-turbulente), il faut aussi souligner que ce sont les canuts qui ont créé les premières sociétés d'entraide mutuelle. Un projet de caisse de secours pour le chômage avait déjà été envisagé à la fin du XVIIIème siècle. De part leur réflexion, inscrite en particulier dans leur journal "L'écho de la fabrique", les canuts ont apporté une pierre importante aux luttes sociales.

Mais il est temps de quitter la Croix Rousse, alors que le jour descend et que la ville s'habille de Lumière (un des visages de Lyon totalement occulté durant notre visite). 
Nous empruntons la rue Edouart Herriot, large artère marchande,
 
  retrouvons la place Bellecourt
 

 prolongée par la place Antonin Poncet où trône ce bel arbre intemporel
 rejoignons par le quai du docteur Gailleton le pont de l'Université où nous traversons le Rhône
 
FIN D'UNE JOURNÉE BIEN REMPLIE !