mercredi 6 novembre 2013

Art brut

"Un concept inventé en 1945 par le peintre et sculpteur français Jean Dubuffet (1901-1985) pour évoquer ces personnes étrangères au monde de l'art.[A l'image] de Séraphine Louis, dite Séraphine de Senlis (1864-1942), incarnée au cinéma par Yolande Moreau [qui] symbolise bien le profil des artistes "bruts", ils agissent parfois par pulsion, ce qui a valu à l'art brut d'être qualifié, autrefois, d'"art des fous", puis d'"art médiumnique" par les surréalistes, en référence aux visions de ces autodidactes souvent atteints de troubles psychiatriques. [  ] Christian Berst, galeriste parisien qui se consacre depuis 2005 exclusivement à l'art brut,  se définit ainsi ce terme : "Il faut l'entendre au sens de l'or et du diamant : quand on le découvre, il n'est pas encore taillé, mais il est pourtant déjà précieux." [Il ajoute] "il ne faut pas confondre ces artistes avec les peintres du dimanche. Pour eux, créer est une nécessité qui leur permet de tenir debout.L 'art brut, c'est de l'art essentiel avec de vrais morceaux de gens dedans."     
Le Parisien MAGAZINE du 18 octobre 2013 a consacré un dossier à cet art à l'occasion de la "Outsider Art Fair", foire exportée de New York et dédiée à l'art naïf et populaire, qui a eu lieu à Paris du 24 au 27 octobre en parallèle de la FIAC (Foire Internationale d'Art Contemporain). De son côté, la Halle Saint-Pierre, au pied du Sacré Cœur (Paris 18) célèbre le 25ème anniversaire de la revue britannique Raw Vision, qui a grandement contribué à la diffusion internationale de cet art à part (jusqu'au 22 août 2014).

L'art brut est aussi à l'honneur à l'Hôtel de Ville de Paris avec l'exposition temporaire 
J'ai eu connaissance récemment de cette exposition que j'ai visité aujourd'hui.
Un événement à l’initiative du CEAH  (Collectif Evénementiel Art et Handicap), soutenu par la Mairie de Paris, dont le but est de « faire partager au public le travail d’artistes en situation de handicap mental et psychique qui ont libéré leur créativité et sortir les richesses de lieux encore confidentiels » (Viviane Condat, présidente du CEAH).

Cette exposition est aussi annoncée dans "Le chemin vers l'insertion" (page 9), journal dédié à l'insertion des personnes en situation de handicap en entreprise qui a pour vocation de :
- Promouvoir l'insertion professionnelle des personnes handicapées dans la société.
- Renforcer les liens entre les entreprises d'une part, les personnes handicapées et les associations d'autre part.
- Valoriser les compétences et les richesses des salariés en situation de handicap.
- Sensibiliser les salariés de l'entreprise à l'enjeu du handicap.
C'est aussi un relais d'information qui véhicule plus largement des valeurs de solidarité et participe à des actions concrètes d'insertion.


Les œuvres sont pour la plupart très colorées. Certaines sont abstraites, d'autres figuratives. Il s'agit essentiellement de peintures, mais il y a aussi de la céramique, de la poterie, une énorme écharpe tricotée avec de fines bandes de soie peinte. Je n'ai pas pu prendre de photos, les seules traces sont ces 3 cartes postales
céramiques
 
Marc Ebershweiler
L'article "Une fenêtre sur le monde ouvre sa porte" paru dans la revue Lien Social n°1123 donne à voir ce qui se joue dans ces ateliers où des personnes en situation de handicap mental et psychique s'expriment fortement.
"Créé en septembre 2003, l'atelier arts plastiques Une fenêtre sur le monde du foyer du Centre d'habitats Apajh 94, à Alfortville,fête son dixième anniversaire. Une quinzaine de résidents handicapés y participent régulièrement. Ce soir-là, se retrouvent Thierry, Patrick et Mounira, le noyau dur de l'atelier.
« J'adore peindre », chuchote Thierry Marino, en prenant une feuille blanche. Il trempe son pinceau dans la peinture rose et trace des lignes horizontales. Thierry est timide mais son geste est sûr. Puis il enchaîne avec d'autres couleurs : violet, bleu, marron, noir. « Ici nous sommes dans l'atelier arts plastiques Une fenêtre sur le monde, où une quinzaine d'artistes y participent au gré de leurs envies, de leurs passions et y développent leur propre style », explique Jérôme Garrido, éducateur spécialisé au foyer et artiste peintre. Témoin et acteur de la vie de cet atelier depuis dix ans, il voit le « bonheur de peindre, de créer, d'être là ensemble. Je ressens chez les résidents un développement personnel, un réel bien-être. » L'éducateur n'est pas art-thérapeute. "Ici le but n'est pas thérapeutique et l'art n'est pas une médiation : on n'interprète pas les œuvres. Il n'y a pas de travail analytique. Mais il y a évidemment des effets bénéfiques. Nous sommes dans un brouillon créatif." Si l'éducateur conseille ou accompagne, il ne peint jamais à la place du résident, ni n'intervient sur l'oeuvre. En tant que peintre, il a souffert par le passé en devant utiliser du matériel basique de mauvaise qualité. « Aujourd'hui, notre direction nous alloue un budget annuel assez conséquent (800 euros), je n'hésite pas à acheter du matériel - encres, pinceaux, papiers, toiles en lin etc. - de très bonne qualité professionnelle. » II défend l'idée que « les artistes puissent peindre dans les meilleures conditions techniques pour se faire réellement plaisir ». Cet atelier a la singularité d'être accessible sans présence éducative. « Ce lieu, où la porte est constamment ouverte, est en libre-service. Parfois, comme aujourd'hui, nous sommes trois, d'autres jours nous sommes quinze », précise l'éducateur. « Quand je suis là, je l'anime. Quand je suis absent, ils se gèrent eux-mêmes. » Dans cet espace d'intimité, les résidents peuvent se retrouver seuls, d'autres viennent et ne peignent pas. Ils discutent ou comme Jean-Christophe qui ne parle pas, sert de modèle aux artistes. « C'est une autre manière de participer. Il n'y a pas d'obligation de créer systématiquement, dans cet espace de liberté. » [   ]
Jérôme Garrido aime renverser les choses. Il invite le personnel éducatif et administratif du foyer à venir peindre dans l'atelier. « Sur les dalles, peintes au plafond par des éducateurs et des résidents, on ne peut déceler qui a peint quoi. Il n'apparaît aucune différence esthétique », constate l'éducateur. Néanmoins "on observe une maturité artistique chez des résidents que n'ont pas certains éducateurs qui sont bloqués avec les pinceaux." Toufa est veilleuse de nuit. Elle participe pour la première fois à l'atelier. « Travaillant la nuit, je n'ai pas l'occasion de partager les activités avec les résidents. Peindre avec eux me permet d'établir un contact plus approfondi. J'espère que j'aurai l'occasion de revenir. » Jordan, éducateur stagiaire au foyer, peint, lui aussi, pour la première fois. Il découvre comment les résidents peignent de l'intérieur.
Garrido insiste pour que l'ensemble du personnel expérimente au moins une fois cet atelier. Quand la comptable et la secrétaire sont venues, les résidents les ont rassurées par des « ne t'inquiète pas, ça va bien se passer ! ». Ils leur ont expliqué les techniques de dessin. « C'est un retournement de situation cocasse et formidable, car ce sont eux qui maîtrisent, transmettent et accompagnent. À présent J'aimerais que le directeur vienne... Je ne désespère pas ! » Dans ce lieu de vie où fusent des éclats de rire, résonnent les derniers tubes à la radio, les artistes se concentrent sur leur toile. Chacun a son univers pictural. Thierry Marino manie les couleurs avec allégresse. Patrick Bernard affectionne les super héros, « éprouve la forme de la couleur et aime tenir le pinceau » dans sa main. Craintive et peu loquace, Mounira Boumendjel peint, toujours debout, des personnages aux couleurs vives. Très concentrée, elle dessine des silhouettes enfermées, puissantes, qu'elle appelle les « bonshommes » : des filles et des garçons aux dents pointues. Cette année, grâce à la vente de deux tableaux, « fruit de sa créativité », la jeune femme s'est acheté une belle chaîne stéréo, sans passer par une demande de la tutelle. Thierry regarde son dessin. « Là, mon tableau est terminé. » II éclate de rire. « Je suis content de ce que je fais. » Agacé par les « Ah ! vous les handicapés, vous développez un art spontané », Jérôme Garrido constate, depuis dix ans, que cet atelier le nourrit, l'accompagne dans sa pratique d'artiste peintre. « Grâce à eux, je suis plus affranchi, je me pose de meilleures questions. » Cette double casquette professionnelle lui permet de concilier passion et travail social. « L'atelier arts plastiques est un acte éducatif fort qui permet de sortir du ghetto du handicap et de changer la vision de certains parents. » Un jour, la mère d'une résidente lui confie :«Je ne pensais pas que ma fille était capable de ça », raconte l'éducateur touché d'avoir contribué à faire émerger « du potentiel et de la qualité ». Au printemps, la famille de Thierry s'est déplacée à Honfleur pour voir les œuvres exposées : « Une vraie reconnaissance. » [   ]Outre l'atelier peinture dans la salle du foyer, Une fenêtre sur le monde organise aussi des visites de musées, d'expositions, de galeries, d'ateliers d'artistes. En dix ans, des liens se sont créés. « Nous avons tissé un vrai réseau humain et artistique, surtout depuis que nous exposons les œuvres en dehors du cercle des éducateurs et des familles. » La première exposition date de 2004, au Sénat. D'autres se sont enchaînées dans des salons, notamment au Grand marché d'art contemporain (GMAC) de la place de la Bastille à Paris, en 2005 et 2013, où « nous sommes invités par l'organisateur Joël Garcia . Nous avons un stand comme n'importe quel artiste. Les résidents exposants ont chacun leur badge. Ils tiennent le stand à tour de rôle. L'idée n'est pas de gommer ou de cacher le handicap mais de mettre en place de manière naturelle la créativité de chacun. Les rencontres avec le public et les autres artistes sont géniales car il y a de vrais échanges », relate Jérôme Garrido. Jordan, l'éducateur stagiaire, a été étonné par les réactions des visiteurs. « Sur le stand, il n'était pas mentionné que les artistes étaient des personnes en situation de handicap. Un autre regard a été porté sur eux. » Cette année au GMAC Bastille, quinze tableaux ont été vendus en six jours. Ironie du sort, « dans l'allée de notre stand, les autres artistes n'ont rien vendu ! », poursuit Jérôme. À chaque nouvelle exposition, l'éducateur demande qui souhaite y participer et vendre ses tableaux. À chacun de décider de vendre ou pas. [   ]
Le but n'étant pas d'en faire des artistes professionnels, l'équipe éducative a réfléchi sur le prix des tableaux. « Ils sont vendus 200 euros. Ce qui permet à l’œuvre d'être achetée pour un coup de foudre esthétique ou artistique et non pour la cause, s'ils étaient vendus à un prix trop bas. » Ici les résidents artistes peintres sont heureux et fiers de montrer et vendre leurs productions. « Ce n'est pas un plaisir mercantile mais une reconnaissance avec autrui. Toutefois nous devons éviter le risque qu'ils ne peignent que pour vendre. » Les acheteurs, les collectionneurs ne sont pas tous sensibles au handicap ou ne travaillent pas dans le champ du social. Aujourd'hui, cet atelier a un vrai public qui le suit. Plusieurs collectionneurs achètent régulièrement ses œuvres. Jérôme Garrido aime raconter cette anecdote où Sylvie exposait en 2005. « Pascal B. un peintre connu lui achète une toile, qu'il range sur son stand, derrière ses œuvres. Passe un collectionneur, qui regarde le tableau de Sylvie et dit au peintre : elle est géniale, ta nouvelle direction de peinture ! Pascal B. lui répond : elle n'est pas de moi. C'est une toile que je viens d'acheter ! ». En France où le handicap est souvent caché, cette Fenêtre sur le monde est une véritable ouverture, une socialisation, un prétexte à la rencontre."
                                                                                                                           Frédérique Arbouet


Tout ceci m'a mis l'eau à la bouche ! Et si la Fabuloserie devenait une prochaine destination estivale ?


1 commentaire:

  1. Je me souviens que Maman a toujours acheté ses cartes de fin d'années à une association d'artistes handicapés physiques: ils peignent souvent avec leurs pieds ou leur bouche. Et le résultat est spectaculaire!!! Alors, cet atelier pour permettre à ces personnes "handicapées mentales" de s'exprimer, et de découvrir le plaisir de créer, c'est formidable!! D'autant plus qu'ils travaillent avec du matériel de qualité...
    Quant à la "Fabuloserie", effectivement, je pense qu'une visite s'impose, avec un compte-rendu sur ce blog ou sur un autre. Le site internet en est un peu décevant!!!
    A bientôt!!!

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